Bêcher
son jardin: Bienfait? ou sacrilège?
Par Anicet Le Marre, ingénieur
des techniques agricoles.
Depuis
quelques années, on assiste à l'émergence,
dans le milieu du jardinage, d'une tendance que l'on pourrait
qualifier de "New Age". Elle est surtout véhiculée
par une frange de nouveaux jardiniers "écolos"
qui se mettent au jardinage dans le but de mettre leur philosophie
récemment acquise en accord avec une pratique quotidienne
résolument tournée vers la "nature".
Je mets ces termes "entre guillemets"
car ils n'ont pas le même sens suivant la parole ou la
plume qui les émet.
Beaucoup
ont pourtant une approche assez superficielle des réalités
agronomiques de la terre vivante et des réalités
biologiques des plantes. Bien souvent ils n'ont d'yeux et d'oreilles
que pour de nouveaux concepts tels que agroécologie,
"design", permaculture, biodynamie... conjugués
avec un respect quasi sacré pour les "petites bêtes
vivantes du sol" englobées sous le terme de biodiversité.
Suivant
l'un de ces nouveaux concepts il ne faudrait plus "travailler"
la terre du jardin pour ne pas déranger la faune et la
flore, d'autant que les lombrics feront cela bien mieux que
le jardinier, à condition qu'on les laisse faire...
Sans
vouloir balayer d'un revers de main ces concepts qui peuvent
se discuter, je voudrais néanmoins rappeler que le travail
du sol, qui se pratique depuis des lustres, a tout de même
quelques bonnes raisons de se pratiquer.

1
- Bêcher pour ameublir le sol
Le bêchage
2
- Bêcher pour homogénéiser la matière organique
La
matière organique : fumier, compost, engrais verts ne sont assimilables
par les racines qu'après dégradation par les vers de terre et
insectes puis décomposition par la microfaune, les bactéries,
les champignons du sol qui la minéralisent.
Or
ces vers, ces bactéries… sont partout dans la couche arable
du sol de 0 à 30 cm. Le mélange intime avec le sol favorise
la minéralisation.
3
- Bêcher pour aérer le sol
La
plupart des microorganismes sont aérobies.
Les
racines pourrissent en milieu anaérobie.
Certaines
plantes comme les légumineuses, grâce à la présence dans leurs
racines de bactéries symbiotiques, puisent leur azote dans l'air
et non dans le sol. Pour que ce soit possible il faut donc que
le sol soit suffisamment aéré.
Une
terre compacte est froide, une terre aérée se réchauffe mieux.

4
- Bêcher c'est encore
Se
débarrasser des adventices et faciliter leur décomposition.
C'est
aussi favoriser une levée de nouvelles jeunes adventices qui
seront détruites par la future préparation du lit de semence.
C'est
donc aussi réduire les futurs binages.
Une
idée reçue tenace: "Les microorganismes occupent
des strates de sol précises. Bêcher c'est détruire cet équilibre
entre les différents acteurs de la minéralisation de l'humus".
C'est
FAUX : Cette stratification ne s'observe que sur les sols non
cultivés: forêts, prairies permanentes,…
Les
acteurs de la minéralisation forment une chaîne où chaque
espèce utilise les résidus d'une autre espèce comme matière
première afin de poursuivre la dégradation.
Dans
une terre non remuée, seule la macrofaune (vers, insectes) est
mobile. Les microorganismes sont des acteurs quasi immobiles.
Ils ne bougent pas pour aller chercher leur "nourriture" mais
doivent attendre que celle-ci leur parvienne par percolation.
L'analyse
microbiologique d'une coupe de sol met alors en évidence des
populations de microorganismes qui se différencient par strates
correspondant aux différents stades évolutifs de la matière
organique.
Mais
attention!! Cela ne veut pas dire qu'une telle stratification
soit performante pour dégrader le terreau de feuille en acides
humiques puis en minéraux. La transformation s'avère d'ailleurs
très lente, d'où l'accumulation d'une litière parfois très épaisse
de feuilles et autres végétaux.

Lorsque
l'on procède au défrichement et à la mise en culture de tels
sols on constate une accélération phénoménale de la décomposition
de la matière organique, accélération que l'on ne peut attribuer
qu'au mélange des strates, à l'aération et à l'ameublissement.
Ce mélange met les différentes populations sur les micro lieux
où ils vont trouver leur nourriture c'est-à-dire partout dans
le sol vivant.
C'est
ce même sol vivant qui est exploré et exploité par les racines
des plantes cultivées. Dans un jardin régulièrement cultivé,
donc bêché, on constate de même la disparition rapide (d'une
année sur l'autre) de la matière organique apportée, même abondamment,
preuve que la vie microbienne y est intense.
Deuxième
idée fausse: "Dans la forêt, les arbres, les buissons,
les genêts… poussent très bien sans intervention humaine".
Il s'agit là d'un argument détourné et fallacieux. Dans les
jardins laissés à l'abandon, les arbres, les buissons, les genêts….
pousseront aussi très bien, très rapidement, et tout
seuls ! Tandis qu'une salade, un poireau, une betterave, et
même un plant de pomme de terre… disparaîtront sous la végétation.
Tout simplement parce que les plantes cultivées, si elles ont
certaines qualités pour lesquelles on les cultive, ne possèdent
pas la faculté de prolifération des plantes qui sont restées
sauvages. Leurs racines ne sont pas adaptées pour aller explorer
le sol très loin de leur lieu de plantation, surtout si le sol
est pauvre en minéraux, compact et sec.
Pour
vous en convaincre: semez des radis, des salades ou
des carottes en forêt. Et si votre récolte
est bonne prévenez tout de suite la presse et
la télé: ça fera un sacré
scoop...
|
Donc
: évitons de comparer ce qui n'est pas comparable et ne prenons
pas argument du développement autonome de la forêt vierge pour
justifier un potager vierge.
Cette
remarque ne contredit pas pour autant certains avantages tirés
des techniques de paillage, de culture sur BRF… notamment sur
la question de l'économie d'arrosage et de binage. Mais là
nous ne sommes plus dans l'agroforesterie.
Troisième
idée fausse: "La grelinette, nouvel outil miracle
du jardinier écolo!"

Il ne s'agit pas de dénigrer cet outil, intéressant surtout
par son mode de mise en œuvre qui éviterait de se "casser le
dos" en bêchant: On
plante verticalement les dents de l'outil dans le sol et une
sorte de guidon à 2 bras permet de le tourner ou de le
remuer manuellement sans avoir à se baisser.
La
grelinette a exactement le même rôle qu'une fourche à bêcher,
ou qu'un croc : remuer la terre pour l'ameublir et l'aérer sans
la retourner. Il n'y a pas lieu de l'opposer à la pelle bêche.
Point à la ligne.
Quatrième
idée amalgame: "Les sols cultivés par les agriculteurs
productivistes se compactent et se dégradent biologiquement.
Ils ne sont plus productifs par eux-mêmes mais seulement grâce
au recours massif aux engrais et aux pesticides. En voulant
imiter ces productivistes, les jardiniers détruisent aussi la
biologie de leur potager".
TRES PARTIELLEMENT VRAI :
Il
est vrai que les multiples passages d'engins de plus en plus
lourds (tracteur, remorques, épandeurs…) compactent les sols
des champs. Les terres laissées nues pendant l'hiver sont lessivées.
Trop d'engrais, de lisiers et de pesticides ont obligatoirement
un impact sur l'équilibre biologique… Tout cela vrai.

Terre meuble à gauche, compacte à
droite
Mais
aujourd'hui, en agriculture intensive on commence à embrayer
la marche arrière; on a également recours aux engrais verts
(que l'on appelle cultures dérobées) et au semis direct sans
labour pour réduire le compactage et remédier aux inconvénients
cités.
Par
ailleurs la plus grande masse des agriculteurs recourt toujours
aux labours. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir dans les champs
d'énormes charrues à six socs et plus ! En agriculture biologique
aussi on continue à recourir au labour de la terre et aux "façons
culturales" (= émiettement de la terre en surface pour
créer un bon lit de semence).
Enfin,
on ne peut pas comparer un jardin potager avec une exploitation
agricole. Il n'est besoin pour s'en convaincre que d'observer
le potager d'un de ces paysans productivistes ! Lorsque le paysan
productiviste s'occupe de son carré potager il l'entoure
de toute son attention: Il le fume, l'amende, le bêche,
le bine. Il prend soin, lorsqu'il doit marcher sur un lopin
bêché, de mettre une planche sous le pied pour précisément éviter
le compactage. Ce même jardinier ne recourt que raisonnablement
aux engrais et aux pesticides. Et la vie biologique de son potager
n'est pas en danger comme elle peut l'être dans les sols
de ses parcelles agricoles.
